Jana Newman (1), Bernard W.T. Coetzee (2), Steven L. Chown (2), Aleks Terauds (3), Ewan McIvor (3)
La biodiversité de l’Antarctique et ses valeurs intrinsèques sont menacées par l’introduction d’espèces non indigènes, favorisée principalement par les activités humaines. Les espèces non indigènes, ou vivant hors de leur aire de répartition naturelle, peuvent se propager au niveau interrégional (provenant de l’extérieur de l’Antarctique et de ses écosystèmes dépendants et associés) ou intrarégional (au sein de l’Antarctique et de ses écosystèmes dépendants et associés). Selon les recherches, les espèces non indigènes présentes en Antarctique pourraient avoir des effets environnementaux et financiers irréversibles importants sur les écosystèmes et la biodiversité de l’Antarctique. Les recherches indiquent également que le risque d’établissement des espèces non indigènes est susceptible de s’accroître sous les effets du réchauffement climatique. Compte tenu de la probabilité d’augmentation des pressions exercées par les espèces non indigènes sur les écosystèmes de l’Antarctique, répondre au problème de l’introduction des espèces non indigènes est l’une des plus hautes priorités du Comité pour la protection de l’environnement (CPE). Le CPE a reconnu qu’il était nécessaire de poursuivre les recherches sur l’impact des espèces non indigènes et d’adopter des pratiques permettant de réduire leur introduction et leur propagation.
Les humains ont propagé des organismes sur l’ensemble de la planète, beaucoup involontairement, via le commerce, les explorations et les voyages. Certains de ces organismes sont capables de s’adapter à de nouveaux environnements et de s’y développer. D’une manière générale, ce déplacement d’organismes par les humains vers des zones situées hors de leur aire de répartition naturelle (souvent appelés « espèces non indigènes ») est à l’origine de changements profonds de la structure et du fonctionnement des écosystèmes, de réduction de la biodiversité, et d’impacts économiques négatifs (1).
L’Antarctique et ses écosystèmes dépendants et associés subissent des pressions de plus en plus importantes de la part des espèces non indigènes introduites involontairement (2-7). L’activité humaine qui s’intensifie dans la région accroît la probabilité d’introduction et d’établissement d’espèces non indigènes (2). De la même façon, l’activité humaine accrue en Antarctique accroît la probabilité d’introduction et d’établissement d’espèces non indigènes dans les régions biogéographiques situées hors de leur aire de répartition naturelle (2, 3, 5). Ce phénomène pourrait, à son tour, accroître la probabilité de dégradation des différentes régions biogéographiques de l’Antarctique.
Il apparaît qu’un grand nombre d’espèces non indigènes terrestres et quelques espèces non indigènes marines sont introduites en grand nombre en Antarctique par inadvertance. Les graines et la terre sont transportées sur les vêtements et les effets personnels. Les organismes sont eux aussi déplacés durant les activités de transport et de construction et les activités de logistique en général (2-6). Certaines de ces espèces non indigènes se sont établies, certaines ont persisté pendant plusieurs années et d’autres ont étendu leur aire de répartition et sont devenues envahissantes (5, 8, 9). Sur la base des observations faites dans plusieurs environnements à travers le monde et dans des environnements comparables situés dans les régions arctique et subantarctique, les espèces non indigènes présentes en Antarctique pourraient avoir des effets environnementaux et financiers irréversibles importants sur les écosystèmes de l’Antarctique (1, 7, 10). Dans la région subantarctique, les espèces non indigènes de vertébrés herbivores et de plantes ont dégradé les assemblages de plantes indigènes, les espèces non indigènes de rongeurs et de félins ont fortement réduit les populations d’oiseaux et les insectes non indigènes ont détérioré le renouvellement des nutriments et diminué la diversité d’insectes de la région (3, 7).
L’incidence de l’introduction d’espèces non indigènes en Antarctique et du déplacement d’espèces indigènes de l’Antarctique dans différentes régions de l’Antarctique pourrait être accentuée par les changements climatiques (2). Dans certaines régions de l’Antarctique, le climat change radicalement, augmentant ainsi la probabilité que de nouvelles espèces non indigènes s’y établissent (4, 10). Une évaluation, à l’échelle continentale, des risques de l’établissement d’espèces non indigènes en Antarctique a révélé une augmentation importante de la probabilité d’établissements futurs dans des lieux stratégiques (2, voir Figure 1).
Le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement (le Protocole) vise à protéger l’ensemble de l’environnement de l’Antarctique, ainsi que ses écosystèmes dépendants et associés. Cela se traduit par l’interdiction d’introduire volontairement des espèces non indigènes dans la zone du Traité sur l’Antarctique, sauf sur autorisation d’un permis (qui est octroyé uniquement dans des circonstances précises).
En 2011, suite à plusieurs années de développement mené par le CPE, les Parties au Traité sur l’Antarctique ont reconnu que l’introduction d’espèces non indigènes dans la région antarctique, y compris le déplacement d’espèces au sein même de la région, constituait une menace sérieuse pour la biodiversité et pour les valeurs intrinsèques de l’Antarctique. À travers la Résolution 6 (2011) Résolution 6 (2011), la Réunion consultative du Traité sur l’Antarctique XXXIV (RCTA) a également adopté le Manuel sur les espèces non indigèneset des lignes directrices et des ressources, afin d’aider les Parties à atteindre les objectifs suivants convenus et de poursuivre les travaux en la matière :
Préserver la biodiversité et les valeurs intrinsèques de l’Antarctique en empêchant une introduction involontaire, dans la région antarctique, d’espèces non indigènes à cette région et le mouvement d’espèces à l’intérieur de l’Antarctique, d’une zone biogéographique à l’autre (Manuel sur les espèces non indigènes).
Réduire le risque de transfert d’espèces entre les sites de l’Antarctique a été l’une des récentes priorités du CPE, avec pour objectif de gérer les risques causés par les espèces non indigènes. En 2012, le CPE XV a approuvé la création de 15 régions distinctes de conservation biogéographiques de l’Antarctique (11). La délimitation de ces régions biologiquement distinctes facilite la gestion des risques induits par le déplacement des espèces non indigènes entre les régions de l’Antarctique.
Les pressions accrues exercées sur les systèmes de l’Antarctique par les changements climatiques et l’intensification des activités humaines peuvent augmenter le risque d’introduction d’espèces non indigènes et d’élargissement de leur aire de répartition (3, 5, 11, 12). C’est pour cette raison que la poursuite de l’étude des impacts causés par les espèces non indigènes, la généralisation de mesures visant à réduire leur introduction et leur propagation, et les actions de lutte contre les introductions, font partie intégrante de la protection de l’Antarctique et de ses écosystèmes associés.
1964
La RCTA III adopte les Mesures agréées pour la conservation de la faune et de la flore en Antarctique (Mesures agréées). Ces dernières comprennent l’interdiction «d’introduire dans la zone du Traité toute espèce animale ou végétale non indigène à [non originaire de]cette zone, sauf sur autorisation d’un permis » et exigent que «chaque gouvernement participant s’engage à garantir la mise en place de toutes les précautions raisonnables pour empêcher l’introduction accidentelle de parasites ou de maladies dans la zone du Traité.»
1991
Adoption du Protocole (il entre en vigueur en 1998). À travers le Protocole, «les Parties s’engagent à garantir la protection globale de l’environnement en Antarctique et des écosystèmes dépendants et associés.» L’Annexe II du Protocole (Conservation de la faune et de la flore de l’Antarctique) reprend certaines dispositions des Mesures agréées de 1964, dont l’interdiction d’introduire des espèces non indigènes dans la zone du Traité sur l’Antarctique (Article 4).
1998
Chown, Gremmen et Gaston publient un article (13)montrant que le nombre de visiteurs explique les variations démographiques des espèces non indigènes de l’Antarctique et de ses écosystèmes dépendants et associés.
2000
Convey et coll. publient un article (14) reconnaît le risque des transferts intrarégionaux en Antarctique.
2001
Chown et coll. (15)) démontrent que la valeur de certaines îles subantarctiques en terme de conservation a été compromise par les espèces envahissantes.
2003
Lewis et coll. (16)) ont étudié les navires utilisés lors des expéditions scientifiques et touristiques en Antarctique et démontrent que les espèces marines non indigènes peuvent être transportées vers l’Antarctique sur la coque de ces bateaux.
2004
Lewis, Riddle et Hewitt (17)soulignent que de nombreuses espèces marines non indigènes pouvant être transportées sur les navires à destination de l’Antarctique sont des espèces qui ont déjà été reconnues comme envahissantes par le passé. Ce même article met en garde sur la modification des composants des traitements antisalissure appliqués sur les coques de bateaux, qui pourrait accroître les risques de transporter des espèces marines non indigènes vers l’Antarctique.
2005
Frenot et coll. (3) publient un article sur : «Les invasions biologiques en Antarctique : étendue, impacts et répercussions», et soulignent que «les microbes, les champignons, les plantes et les animaux non indigènes sont présents sur la plupart des îles subantarctiques et certaines parties du continent antarctique».
Le cours du SCAR dispensé à la RCTA (non disponible en français) présente les espèces non indigènes comme une menace majeure pour la biodiversité en Antarctique.
Whinam, Chilcott et Bergstrom (18) publient un article traitant du risque pour les scientifiques participant à des programmes antarctiques nationaux d’agir comme vecteur d’introduction d’espèces non indigènes en Antarctique.
2006
La RCTA XXIX adopte les Lignes directrices pratiques pour le renouvellement des eaux de ballast dans la zone du Traité sur l’Antarctique Résolution 3 (2006).
Un atelier sur la quarantaine et les espèces non indigènes est organisé en Nouvelle-Zélande (19). Le CPE approuve toutes les recommandations émises lors de l’atelier, y compris celle demandant que la «question des espèces non indigènes ait la priorité absolue en accord avec les normes environnementales élevées établies dans le Protocole ; et qu’une « approche de tolérance zéro » et un « ensemble de directives et/ou de procédures globales et normalisées soit élaboré, s’adressant à tous les opérateurs en Antarctique et s’appuyant sur une approche de « prévention, surveillance et réponse».»
2007
Le SCAR présente au CPE X le document RCTA XXX/IP37 (non disponible en français) traitant du thème de la salissure des coques de bateaux comme source d’invasion marine en Antarctique, et souligne que, d’après des études récentes, la salissure des coques serait un facteur important d’introduction d’espèces non indigènes.
2008
Le CPE adopte un Plan de travail quinquennal qui désigne le thème des espèces non indigènes comme une question de plus haute priorité.
Le CPE et le SCAR encouragent les Membres à utiliser la Base de données sur la biodiversité comme une base de données centrale pour la recherche d’espèces non indigènes présentes en Antarctique.
2009
À la demande du CPE, le Secrétariat du Traité sur l’Antarctique présente le RCTA XXXII/SP11: un récapitulatif des discussions portant sur les espèces non indigènes de l’Antarctique.
2011
Le document RCTA XXXIV/WP04traite du rapport établi par un groupe de contact intersessions du CPE sur la création d’un manuel de directives et de ressources pratiques pour aider les Parties à préserver la biodiversité et les valeurs intrinsèques de l’Antarctique. En ce sens, le rapport recommande d’empêcher l’introduction involontaire, dans la région antarctique, d’espèces non indigènes à cette région, ainsi que le mouvement d’espèces en Antarctique, d’une zone biogéographique à l’autre. Ce Manuel sur les espèces non indigènes rassemble en un même document le nombre croissant de directives et de ressources élaborées par différentes agences au cours de ces dernières années.
L’ATCM XXXIV adopte la Résolution 6 (2011) sur les espèces non indigènes, qui recommande aux Parties de diffuser et d’encourager l’utilisation, de façon appropriée, du Manuel sur les espèces non indigènes et d’inciter le CPE à poursuivre son développement.
2012
Le SCAR présente au CPE XV le document RCTA XXXV/WP05 qui présente les résultats d’une évaluation (2), à l’échelle continentale, des risques d’établissement des espèces végétales vasculaires non indigènes en Antarctique. L’évaluation conclue (i) que le principal risque pèse actuellement sur les régions côtières de la péninsule antarctique occidentale et sur les îles situées au large des côtes de la péninsule, et (ii) que d’ici à 2100, le risque d’établissement d’espèces non indigènes sera toujours plus élevé dans la zone de la péninsule antarctique, mais, sous l’effet des changements climatiques, augmentera également considérablement dans les zones côtières libres de glace situées à l’ouest de la plate-forme d’Amery et, dans une moindre mesure, dans la région de la mer de Ross.
Le CPE s’engage à :
- utiliser cette évaluation pour poursuivre le développement de stratégies visant à atténuer les risques liés aux espèces terrestres non indigènes ;
- mettre au point une stratégie de surveillance pour les zones à fort risque d’établissement d’espèces non indigènes ;
- se concentrer encore davantage sur les risques engendrés par le transfert de propagules sur le territoire antarctique.
Dans son rapport, le SCAR informe le CPE XV que le nombre moyen de graines transportées durant l’Année polaire internationale (IPY) 2007-2009 était de 9,5 graines par personne (uniquement sur le nombre de personnes transportant des graines). Pas moins de 70 000 graines seraient donc arrivées sur le sol antarctique au cours du premier été de l’IPY, transportées davantage par les scientifiques, les équipements scientifiques et le personnel encadrant les groupes touristiques, que par les touristes (2).
Terauds et coll. (11) publient une analyse des meilleures données disponibles sur la biodiversité, ce qui permet, pour la première fois, de délimiter 15 régions libres de glace et biologiquement distinctes en Antarctique. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et le SCAR informent le CPE XV de ces régions de conservation biogéographiques de l’Antarctique (RCBA ; RCTA XXXV/WP23rev.1). Sur les conseils du CPE XV, le RCTA XXXV adopte la Résolution 6 (2012), qui adopte les régions de conservation biogéographiques de l’Antarctique comme outil d’aide à la gestion des risques posés par les espèces non indigènes.
Le cours du SCAR dispensé à la RCTA (non disponible en français) met en évidence le fait que des invasions biologiques ont déjà eu lieu en Antarctique et évoque les conséquences et les défis à venir.