Pablo Tejedo (1)* & Tanya O’Neill (2)
Texte original en anglais – traduction française Yves Frenot
Les sols antarctiques sont particulièrement sensibles aux perturbations en raison de leur caractéristiques biologiques et physiques et de leurs faibles vitesses de restauration, liées aux faibles températures et parfois aux faibles disponibilités en eau. Comme les activités humaines sont concentrées sur des surfaces déglacées de relative petite dimensions, les impacts humains sur ces surfaces sont potentiellement importants. Les sols antarctiques procurent des habitats pour une faune et une flore qui peut être localement importante et qui, dans certains cas, présente des espèces endémiques. Aussi, la protection de cette composante des écosystèmes devrait être une priorité. Le piétinement humain et la formation de sentiers suite à l’installation de campements ou à des activités scientifiques ou touristiques peuvent avoir sur les sols des effets indésirés. Ces impacts affectent à la fois les propriétés physicochimiques et biologiques à différentes échelles, allant des populations aux communautés, et même aux habitats. La persistance de ces perturbations dépend du type de sol, des conditions climatiques locales, de l’ampleur de la perturbation, des efforts de restauration (s’il y en a), et des composantes de l’écosystème affecté. Dans certains cas, des impacts peuvent se faire ressentir des dizaines d’années après la perturbation elle-même. Les scientifiques ont analysé ces impacts, la vulnérabilité des sols et leur capacité de résilience, et des lignes directrices ont été proposées pour limiter les conséquences des pressions humaines sur les environnements édaphiques.
Résumé
La plupart des sols antarctiques sont couverts de glace, mais des sites isolés avec des sols exposés existent, que ce soit sur les falaises, les marges côtières, les nunataks ou encore les zones qui, saisonnièrement, sont libérées de neige ou de glace. Les vallées sèches de McMurdo constituent, avec leur superficie d’environ 15 000 km², la plus vaste région sans glace de l’Antarctique1. La vie terrestre se concentre dans les sols se développant sur ces régions libres de glace qui représentent au total environ 49 500 km², principalement sur la Péninsule Antarctique, les montagnes trans-antarctiques, la terre de Mac Robertson et la terre de la Reine Maud2. La majorité de ces sols est caractérisée par un manque général de structuration et de cohésion, une faible teneur en matière organique, une faible biomasse et production primaires, une faible disponibilité en eau, une lente vitesse de décomposition, et une faune édaphique limitée3. Ces caractéristiques, associées à l’absence générale de haute végétation (plantes vasculaires) et des basses températures régnantes, confèrent à ces sols une forte sensibilité au piétinement humain4. La plus grande part des activités humaines se concentre sur les zones libres de glace présentant des accès faciles et des conditions climatiques plus douces (par exemple en Péninsule Antarctique et les archipels avoisinants). Les perturbations des sols les plus importantes s’observent près des stations de recherche ou des campements et des sites les plus fréquentés par les touristes. Des sites scientifiques importants, des sites historiques, des points de vue sur des paysages spectaculaires et des colonies côtières d’oiseaux peuvent aussi être concernés (Fig. 1).
Le piétinement peut conduire à des modifications des propriétés des sols et des traits de surface tels que l’augmentation de la largeur des sentiers, de la résistance à la pénétration ou de la densité apparente4-8. Le piétinement produit également des modifications visibles du microrelief4, 9-11 (Figs. 1 and 2), ainsi que l’altération de l’albédo dans certains sites.
Plusieurs impacts sur la faune et la flore ont également été identifiés, notamment en Péninsule Antarctique où la végétation est plus développée, le plus évident de ces impacts étant la diminution du couvert végétal et de la biomasse autour des sentiers12 (Fig. 3).
La faune du sol est aussi directement impactée à travers une augmentation de la mortalité et, indirectement, par une diminution de la qualité de l’habitat qui affecte la fécondité, l’abondance, la composition et la structure des communautés édaphiques6, 7, 13. Certains paramètres microbiologiques peuvent être modifiées par le trafic pédestre, notamment l’activité enzymatique et la respiration du sol13, 14. Le piétinement réduit la quantité de nutriments disponibles dans les communautés de mousses antarctiques12. De plus, il a été suggéré que l’établissement d’espèces non indigènes pourrait être facilité par le trafic pédestre associé à la présence humaine14, 15, bien que des observations supplémentaires soient nécessaires pour déterminer l’importance relative de ce mécanisme.
L’ampleur des perturbations telles qu’elles peuvent être mesurées dépend du type de sol, du climat local, du type et de l’intensité de leur cause (piétinement ou passage de véhicule), de la dynamique du paysage et de la composante de l’écosystème considéré. Les perturbations qui résultent d’un trafic piétonnier ou d’un camp de terrain s’étendent généralement sur de faible surfaces mais sont souvent clairement visibles16. Sur certains sols sensibles, le déplacement pédestre laisse facilement des traces qui peuvent rester apparentes plusieurs années après leur création4, 10. Le trafic de véhicules quant à lui provoque des perturbations du sol plus étendues et persistantes17. L’impact sur les sols est souvent plus important lorsque le pavage désertique de surface est dérangé et les matériaux fins sous-jacents exposés4, 13, 18. Dans les vallées sèches de McMurdo, des chemins formés dans des terrains meubles après seulement une vingtaine de passages à pied sont encore visibles 23 ans après leur formation4 (Fig. 2, A and B). Les sols non cohérents aux textures sableuses contenant des graviers et cailloux sont également sensibles au piétinement et leur endommagement est immédiat7. A l’inverse, les sols ayant une surface largement couverte de blocs de pierres et/ou de particules de grande taille sont moins sensibles4 (Fig. 2, C and D). D’autres surfaces, composées de dunes sableuses d’origine éolienne ou des sols volcaniques grossiers sont facilement impactées mais les effets physiques d’un passage piétonnier régulier peut disparaître au bout d’une année en raison des cycles de gels/dégel et de l’action du vent7, 10] (Fig. 1, D). Des manipulations expérimentales de sols situés en Antarctique maritime ont démontré que les effets de leur compaction peuvent disparaitre en 3 à 5 ans si la zone est fermée au trafic humain pendant cette période7. Une même période de temps semble nécessaire pour permettre l’établissement de bryophytes et des communautés d’invertébrés associées sur des sols mis à nus19.
Plusieurs outils existent pour gérer les impacts du trafic piétonnier en Antarctique20. Le SCAR a développé le « Code de conduite pour les recherches scientifiques terrestres sur le terrain en Antarctique ». Deux de ses mesures font référence au piétinement : (1) rester sur les sentiers établis lorsqu’ils existent, et (2) éviter de marcher sur les terrains particulièrement fragiles (par exemple les sols tourbeux, les tapis de mousses, les pavements désertiques ou les zones boueuses). En dehors de ces recommandations générales, les Parties au Traité sur l’Antarctique ont développé un ensemble de « Lignes directrices pour les visites de sites » afin de fournir des instructions spécifiques pour la conduite d’activités sur les sites les plus visités d’Antarctique, tenant compte des valeurs environnementales et de la sensibilité de chacun d’entre eux. Des mesures visant à contrôler les effets du piétinement y sont mentionnées, incluant la démarcation de zones fermées pour en protéger les éléments sensibles, et la mise en place de cheminements pour éviter de marcher sur la végétation. Enfin, les plans de gestion de certaines Zones Gérées Spéciales de l’Antarctique (ZGSA) et de Zones Spécialement Protégées de l’Antarctique (ZSPA) contiennent des instructions pour protéger l’environnement lors de travaux de terrain ou de visites qui aident à limiter les impacts sur les sols. A ce jour, tous ces codes de conduite ont contribué à contrôler l’ampleur de nombreux impacts potentiels générés par le piétinement.
Ces recommandations demandent à être évaluées régulièrement et, lorsque nécessaire, à être révisées pour s’assurer de leur efficacité en réponse à l’accroissement prévu des activités humaines. Les travaux à venir pourraient utilement concerner la variabilité des réponses de différents types de sols au piétinement. Par exemple, l’efficacité de l’utilisation de sentiers établis sur des zones sans végétation est très dépendante du contexte7, 10. Sur des sites où il y a peu de piétinement, de faibles modifications de la surface peuvent s’estomper rapidement, en moins d’un cycle annuel, suggérant que parfois la dispersion des passages sur un plus vaste corridor pourrait être plus appropriée que l’établissement d’un sentier bien défini et appelé à durer dans le temps. A l’inverse, les recherches ont montré que pour les cheminements fortement utilisés ou ceux situés sur pente raide, l’obligation d’emprunter un seul et même sentier balisé, sur des surfaces rocheuses ou pierreuses quand cela est possible et en évitant les zones boueuses, permet de réduire au minimum l’impact du piétinement7, 9, 18. Il est évident que les conditions environnementales et le niveau attendu de fréquentation doivent être pris en compte pour déterminer quand et où il est plus approprié de disperser ou de concentrer les activités humaines7. Une approche coordonnée basée sur un ensemble convenu d’indicateurs biophysiques ou chimiques pour évaluer la vulnérabilité et la résilience des différentes surfaces pédologiques antarctiques pourrait aider les gestionnaires de l’environnement et l’industrie du tourisme à choisir la stratégie la mieux adaptée à chaque site pour minimiser les impacts physiques et biologiques
1991
La Réunion Consultative Extraordinaire du traité sur l’Antarctique (RCETA) XI adopte le Protocole au Traité sur l’Antarctique, relatif à la protection de l’environnement. L’Annexe I « Evaluation d’impact sur l’environnement » exige que les personnes responsables d’une activité en Antarctique évaluent l’importance et la probabilité de ses impacts environnementaux.
1993
Élaboration de critères d’évaluation des impacts anthropiques sur les sols antarctiques par Campbell, Claridge et Balks.
1994
La Recommandation XVIII-1 intitulée « Lignes directrices pour les visiteurs de l’Antarctique« , a été adoptée par les Parties Consultatives au Traité sur l’Antarctique. Elle inclue la directive suivante : « ne pas endommager les plantes, par exemple en marchant, en conduisant ou en débarquant sur des tapis de mousses ou des pentes d’éboulis couvertes de lichens« . C’est la première fois qu’il est fait mention dans un document du Traité de la manière d’éviter un impact du piétinement. L’Association Internationale des Voyagistes Antarctiques (IAATO), qui regroupe la plus grande partie des opérateurs commerciaux dans ce secteur, a traduit cette recommandation en un code de conduite qu’elle fait appliquer à ses clients.
1995
Étude expérimentale des impacts du piétinement sur l’île de Ross et dans les vallées sèches
2005
Les premières lignes directrices de site pour les visiteurs sont publiées. Ces documents comprennent généralement des recommandations pour contrôler les effets indésirables du piétinement.
2008
Le Code de conduite pour les recherches scientifiques terrestres sur le terrain en Antarctique est approuvé par le SCAR et le COMNAP.
2016
Le Code de conduite du SCAR relatif à l’activité dans les environnements géothermiques terrestres en Antarctique est approuvé.