Ad H.L. Huiskes (1), Marc Lebouvier (2), Marco A . Molina Montenegro (3), Luis R. Pertierra (4), Megumu Tsujimoto (5)
Texte original en anglais – traduction française supervisée par Marc Lebouvier, Station Biologique, Unité Mixte de Recherche Ecobio, Centre National de la Recherche Scientifique–Université de Rennes 1, 35380 Paimpont, France
Les espèces non indigènes sont relativement rares en Antarctique et dans l’Océan Austral. C’est probablement lié à une présence humaine relativement récente et au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement qui interdit toute introduction volontaire. Des introductions involontaires existent néanmoins car l’habillement et les bagages des visiteurs, le fret, les produits frais, les véhicules, les navires et autres moyens de transport sont des vecteurs potentiels de propagules ou d’organismes entiers. En relation avec l’augmentation constante des activités humaines sur le continent et des modifications actuelles du climat, le risque d’arrivée et d’établissement de ces espèces non indigènes est susceptible de s’accroître.
Les introductions d’espèces non indigènes exercent une pression croissante sur les écosystèmes antarctiques (1). Ces introductions dans les milieux terrestres et dulçaquicoles en Antarctique sont rares par comparaison avec celles qui existent dans d’autres parties du monde, notamment parce que ce continent est peu connecté au reste du globe, parce que les conditions environnementales y sont extrêmes et parce qu’il bénéficie d’une protection dans le cadre du Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement (2). Bien que très rares les introductions naturelles en Antarctique sont documentées (3). En 2015 la plupart des invertébrés et des plantes non indigènes présentes ont été introduites en liaison avec les activités humaines et se rencontrent essentiellement dans la Péninsule Antarctique, dans les îles subantarctiques et dans les îles tempérées froides australes (4), (5), (Tableau 1).
Les informations sur les microorganismes et les champignons sont très limitées mais des recherches sur des sites d’expéditions historiques en Mer de Ross et sur l’Ile de la Déception ont révélé la présence de champignons sur le bois des cabanes (6).
Tableau 1. Espèces non indigènes répertoriées en milieu terrestre dans la Péninsule Antarctique (état en janvier 2015) (d’après 5)
Des plantes non indigènes observées sur le continent antarctique ont été éradiquées sur plusieurs sites (Puccinellia sp. à proximité de la station Syowa, terre de la reine Maud et Alopecurus geniculatus, Puccinellia distans, Rumex pulcher, Stellaria media et Chenopodium rubrumprès de la station Progress II, collines Larsemann, terre Princesse-Elizabeth) (5).
Jusqu’à présent aucun invertébré non indigène n’a été signalé en milieu terrestre en dehors de la Péninsule Antarctique, à l’exception d’un certain nombre trouvés à l’intérieur des bâtiments des stations.
Les connaissances sur les introductions d’organismes marins dans l’océan Austral au sud du 60e parallèle sont encore très fragmentaires (2, 10) ; les navires peuvent transporter des organismes marins non indigènes, souvent liés à l’encrassement des coques et à des débris marins d’origine anthropique (7, 8, 9).
Des études antérieures ont identifié plusieurs vecteurs d’introduction importants et fourni des indications sur les points qui nécessiteraient un renforcement des mesures de biosécurité. Ils comprennent :
- les conteneurs de fret (caisses d’emballage) et leur contenu (10, 11) ;
- le fret destiné à des travaux d’infrastructure (construction ou rénovation de stations) y compris les engins de terrassement et d’excavation (10, 12) ;
- les produits frais (13) ;
- les visiteurs : vêtements et équipement (1) ;
- les moyens de transport et de débarquement (bateaux, avions, hélicoptères) (7, 8, 9).
Les visiteurs (y compris les scientifiques et les personnels de soutien opérationnel et logistique) se rendant en Antarctique partent principalement d’Amérique du Sud, d’Afrique du Sud, d’Australie et de Nouvelle Zélande (1). Des navires et avions partent aussi d’autres ports et aéroports du monde entier à destination des stations de recherche et des sites touristiques antarctiques. Ces avions et bateaux sont tous des porteurs potentiels de graines, d’autres propagules de plantes et d’invertébrés (14, 15). Parmi les 37 973 touristes qui ont débarqué au cours de la saison 2017-2018 une large majorité était concentrée sur la Péninsule Antarctique et, dans une moindre mesure dans la région du détroit de McMurdo en mer de Ross (https://iaato.org/tourism-statistics). L’importation de marchandises est l’une des principales voies d’introduction d’espèces non indigènes en Antarctique. De nombreuses propagules ont été trouvées attachées aux caisses d’emballage et à leur contenu, aux machines et aux véhicules (Figure 1), transportés principalement depuis les installations des opérateurs de programmes nationaux vers les stations de recherche antarctiques (11, 12, 14, 16, 17).
L’importation de produits frais tels que les oeufs, les fruits et légumes (Figure 2), les produits carnés, peut aussi entraîner le transport involontaire de microorganismes et d’invertébrés non indigènes depuis les ports de départ à destination de l’Antarctique (13). Toutefois, certains modes de transport, notamment les avions et les hélicoptères, n’ont pas encore été étudiés de manière aussi détaillée comme vecteurs possibles. En outre, les transports d’espèces non indigènes d’une région à l’autre de l’Antarctique sont moins connus bien qu’ils soient aussi une préoccupation majeure pour la conservation des écosystèmes antarctiques.
Les espèces indigènes introduites peuvent être classées en quatre catégories (2, 5) :
- les temporaires (transient), qui survivent pendant une courte période avant de s’éteindre naturellement (en général à cause de l’environnement défavorable) ou avant d’être éradiquées par l’homme ;
- les persistantes, qui survivent l’hiver et s’établissent localement sur une superficie réduite pendant de nombreuses années (par exemple Poa pratensis dont une population s’est maintenue pendant plus de 60 ans à la Pointe Cierva (18) ; et
- les envahissantes, qui sont bien établies et commencent à s’étendre et à perturber significativement les communautés autochtones (par exemple Poa annua).
- Les espèces non indigènes synanthropes, associées à la présence de l’homme en Antarctique – i.e. vivant généralement dans les bâtiments, dans les stations d’épuration et dans les installations de cultures hydroponiques (5). Les espèces répertoriées (5) sont toutes des diptères (mouches et moustiques) : Lycoriella ingenua à la station Casey (tentative d’éradication infructueuse), Lycoriella sp. à la station Rothera (éradication réussie), Trichocera maculipennis à la station Artigas (éradication infructueuse, espèce maintenant également présente dans le milieu environnant), un moustique non identifié à la station Frei (larves persistantes dans le système d’épuration).
Le climat antarctique, hostile pour la majorité des espèces non indigènes, va probablement continuer à devenir plus clément, en particulier dans la Péninsule Antarctique (20). Des études récentes montrent que dans cette zone le nombre de niches potentielles disponibles pour les espèces non indigènes est plus élevé que prévu (21). Dans d’autres biomes de la planète il a été établi que l’impact des espèces non indigènes est préjudiciable à la biodiversité des communautés autochtones. Des recherches sur la graminée envahissante Poa annua en Antarctique ont montré qu’un impact négatif était également susceptible de s’y produire (19).
Le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement interdit l’introduction d’espèces non indigènes en Antarctique sans autorisation. Cela implique que les opérateurs nationaux et les compagnies touristiques doivent mettre en place des mesures préventives pour éviter les introductions par inadvertance.
Des études sur les vecteurs et les voies possibles d’introduction d’espèces non indigènes ont permis d’identifier des mesures clés pour minimiser le risque de transfert de ces espèces en Antarctique. Elles comprennent le nettoyage des vêtements (Figure 3), des bottes (Figure 4), des bagages, du matériel, des marchandises et des moyens de transport par lavage ou aspiration avant d’atteindre l’Antarctique et le conditionnement des produits frais sans parasites ni maladies dans des récipients fermés.
Une publication récente évalue l’élaboration et la mise en œuvre de politiques relatives aux espèces non indigènes par les parties au Traité sur l’Antarctique et fournit des indications utiles sur certaines des procédures de biosécurité les plus efficaces (22). Des recherches complémentaires sont nécessaires sur les voies d’introduction des espèces non indigènes, avec la prise en compte des transferts entre régions de l’Antarctique et des voies d’introduction d’espèces marines.